Dominique , 40 ans, fille de malade alcoolique, femme d’alcoolique abstinent, mère de 2 garçons de 8 et 11 ans,
J’ai grandi dans un milieu aisé de l’ouest parisien. Même dans mes plus vieux souvenirs, mon père buvait ses whisky tous les soirs. Jamais violent physiquement, toujours absent de la vie de famille et souvent dans un état second.
Notre vie de famille a été portée à bout de bras par notre mère. Le tabou de l’alcoolisme m’a étouffée. Il y avait ceux qui ne voulaient pas voir, ceux qui faisaient semblant que tout allait bien, ceux qui se taisaient, ceux qui minimisaient et ceux qui me faisaient culpabiliser « tu en attends trop de ton père, il paye déjà tes études : c’est bien ! ».
J’ai commencé les suivis psychologiques à l’âge de 12 ans, avec des années sous anti-dépresseurs. À l’adolescence, dans un mal-être grandissant et suite à une tentative de suicide, j’ai osé interpeller mon père à table « si [untel] n’était pas là, je ne serai plus là aujourd’hui à cause de toi. » voici son unique réponse « c’est normal à l’adolescence ». J’ai compris ce jour-là que je ne devais rien attendre de lui.
Comment se construire avec le poids de la honte, la violence du silence et l’indifférence générale ? Comment oser quitter la maison quand on voit son autre parent subir en silence ?
Après mon bac et avec l’aide de ma mère, je quitte Paris et cette chape étouffante.
Des années plus tard, je me marie, nous avons 2 enfants et la vie nous délivre ses embuches. Suite à une difficulté supplémentaire de couple, mon mari commence à boire en cachette et sombre petit à petit dans ce silence alcoolique. D’abord je ne veux pas voir, puis pas croire et dans une culpabilité grandissante, j’essaie de combler auprès de mes enfants son absence parentale.
Nos garçons sont jeunes et je m’épuise à leur fabriquer un quotidien « normal ». Pensant les protéger, je minimise les incohérences, les oublis, les siestes à rallonges, les colères inappropriées, les mouvements d’humeur incompréhensibles, les fatigues du soir, les silences pesants.
Pour éviter ses colères que je ne savais gérer, je m’impose d’être la plus transparente possible et j’impose à mes garçons d’être les plus calmes et obéissant possible. Trop dur pour des jeunes enfants ! À mon tour, je reproduis cette chape de silence étouffante.
Je m’épuise et m’éteins à petit feu. Peur, isolement, mensonges, honte, sur-vigilance. Jusqu’au jour où – à bout de force – je suis violente : je lance violemment un livre en direction de mon ainé à travers sa chambre juste parce qu’il n’avait pas rangé sa chambre. Stop !
Je réalise que je ne peux plus continuer comme ça. Je demande de l’aide à mon médecin qui me met sous anti-dépresseur et anxiolytique pour tenir.
Notre ainé, sensible et harcelé au collège, va mal. Entre un père alcoolique et une mère trop préoccupée, il ne nous parle pas et préfère fuguer. Je jongle alors entre les rdv médicaux et psy pour lui et moi. Mon travail passe au second plan.
Quelques mois plus tard, après une deuxième pancréatite, mon mari est enfin hospitalisé. Le déclic est là : il stoppe sa consommation d’alcool et ne bois plus depuis sa sortie.
Mon processus de guérison est beaucoup plus long. Je suis toujours sous anti-dépresseur. Notre famille se reconstruit petit à petit. Nos garçons vont mieux.